La phrase de Dostoïevski est la suivante : “Seule la beauté peut sauver le monde.”

Je préfère ôter le mot “seule” car je pense qu’il y a d’autres sources d’espoir. Mais il est vrai que la beauté – des arts, des paroles, de l’amour, de la nature, des actions – est déjà à elle seule un formidable levier du mieux vivre ensemble.

Pierre Rabhi en dit ceci : “la beauté véritablement nourrissante n’est pas pour moi assimilable à l’esthétisme froid et superficiel, surabondant dans notre société moderne. Je la ressens davantage comme émanant d’une grâce naturelle, semblable parfois à celle qu’expriment certains peuples traditionnels. Je suis touché par la magnifique dignité de certains Indiens d’Amérique qui portaient le sacré tant sur leur visage que dans chacun de leurs gestes. Simplement reliés à la vie, ils passaient secrètement sur la Terre ; ils ne vivaient pas dans la pesanteur, ne laissaient pas derrière eux de grands monuments, mais un sentiment d’éternité… Du moins c’est ainsi que je conçois leur posture. La beauté fondamentale, celle qui émane de l’amour, de la générosité, de la bienveillance, du respect.”

Toute forme de beauté appelle à la conserver, à l’entretenir -en particulier la beauté de la nature- et invite à donner le meilleur de nous-mêmes pour la préserver. Elle permet que “s’estompe la frontière entre l’être et le paraître, pour laisser place à l’humilité et la sagesse. Elle nous invite à l’exigence de la cohérence, l’interrogation de nos intentions, la quête de sens”. La beauté peut alors constituer un but commun et nous unifier.

Selon Patrick Chamoiseau, écrivain antillais, la beauté est ce qui nous bouleverse et renouvelle notre regard sur le monde. Il en veut pour preuve cette initiative qu’il parraine : les « ateliers d’imaginaire » dans les projets d’urbanisme, tels qu’ils sont conçus dans la mission Martinique 2020 qui travaille à la renaissance des villes de Saint-Pierre et des Trois-Ilets. Cette mission vise à développer, pour lutter contre la récession et réagir aux urgences économiques et sociales, des espaces urbains moteurs autour de pivots culturels, d’imaginaires des lieux retissés et revivifiés ainsi qu’autour d’une « charte des beautés ». La poursuite d’objectifs très prosaïques, mais essentiels, de lutte contre le chômage et contre les problèmes de logement passe par la recherche et l’élaboration collectives, au moyen notamment d’une prospective de l’embellie, d’ateliers de l’imaginaire et d’implications fortes d’artistes. C’est sur cette “matrice” culturelle  et poétique que se baseront la valorisation du bâti et des espaces publics.

Les ateliers visent à solliciter l’esprit poétique des habitants pour faire appel à la dimension créatrice dans les schémas et cadres de développement et afin que les gens prennent l’habitude d’imaginer, de construire leur entourage et leur entour, de se repositionner au coeur des choses. Cette façon de procéder modifie le regard sur le monde et, par effet induit, la mise en oeuvre de cette conception du monde. Selon P. Chamoiseau “chaque fois qu’il y a surgissement de beauté, le monde est changé pour nous” et si l’on a la volonté, lorsqu’on est en responsabilité, de remettre l’humain au coeur de la vie politique ordinaire, on comprend qu’il ne s’agit nullement d’utopie creuse mais d’une véritable variable d’ajustement économique.

Cette action positive et les paroles de P. Rabhi et P. Chamoiseau sont extraites du Magazine Kaizen* n° 20.

* Kaizen en japonais signifie « changement bon » et constitue également une méthode : celle du changement par les petits pas. Il s’agit également d’un magazine bimestriel “des initiatives positives pour construire une nouvelle société”.