— Un bonze demanda à Maître Ummon : « Quelle est l’essence du corps du Dharma?» Ummon répondit : « La haie autour des W.-C. ! »

Voici un koân pour le moins surprenant…

Le kôan (ou gogan) est une sorte d’historiette ou anecdote brève zen, souvent absurde, énigmatique ou paradoxale, ne sollicitant pas la logique ordinaire, utilisée dans les écoles bouddhistes. Il procède d’une « méthode » particulière visant à interpeller les esprits, y compris dans la formation des moines car le but est d’amener à l’état de satori, totale réalisation de la connaissance. Il en existe de plusieurs « niveaux » et certains sont parfois difficiles d’accès.

Maître Chuhô Myohon (1263-1323) exposa clairement ce qu’est le kôan et à quelle fin on l’utilise :  » , ou « public », est la seule voie suivie par tous les sages et hommes vertueux, le plus haut principe qui serve de route au monde entier. An, ou « archive », sont les écrits orthodoxes qui consignent ce que les sages et hommes vertueux considèrent comme principes. Quand ces archives publiques (kôans) seront employées, les principes et les lois entreront en vigueur, le monde deviendra juste ; quand le monde sera juste, la voie royale sera bien ordonnée. »

C’est dire si ce qui ressemble à une anecdote parfois amusante porte en elle du sens!

Pour développer l’explication de cette écriture particulière et de ce puissant outil du zen, j’ai trouvé une approche intéressante sur une page relative aux arts martiaux et au zen qui les entoure* :

Le kôan n’est pas un problème à résoudre dans un temps imparti mais une sorte d’énigme irrationnelle que l’on installe dans son esprit et que l’on va laisser mûrir jusqu’à l’apparition de l’évidence.

Maître Taïkan Jyoji nous dit que cela peut aller de quelques mois à quelques années, pour résoudre un kôan dans le zen ou quelques jours ! 

Le raisonnement logique est banni ou très marginal car il conduit à des lieux communs ou des impasses. Il s’agit d’appréhender les mots avec prudence, en pensant plutôt à des associations d’idées ou des symboles, en sortant des sentiers battus, se laissant porter par notre imagination et sans chercher surtout à retrouver un équivalent à nos connaissances antérieures.

« Le koan doit engendrer l’éclosion spontanée d’une merveilleuse fleur inconnue ».

Je citerai les 3 kôans de base – bien connus- que le maître choisit selon la nature du disciple :

— Le 6e patriarche Hui-Neng demanda à un bonze : « En ne pensant ni au bien ni au mal, à cet instant précis : quel était ton visage originel avant que ton père et ta mère soient nés ? »

— Un bonze demanda à Maître Joshu : « Le chien a-t-il la nature de Bouddha ? » Joshu répondit : « Mu ! » (mu = vide)

— Hakuin Zenji demanda à son disciple : « Lorsqu’on frappe dans ses mains, cela produit un son. Quel est le son d’une seule main ? »

Ces exemples sont puissants d’interpellation. En voici quelques autres :

  • Le bambou existe au-dessus et en-dessous de son nœud.
  • Le soleil de midi ne fait pas d’ombre.
  • Ne regardez pas les choses ordinaires de manière ordinaire. (Dôgen)
  • Le courant rapide n’a pas emporté la lune.
  • Comme le sixième Patriarche était là, le vent commença à faire claquer l’oriflamme. Deux moines se mirent à discuter là-dessus. L’un remarqua : « Regarde ! l’oriflamme bouge ! » À quoi l’autre rétorqua : « Non ! c’est le vent qui bouge ! »
    Ils discutèrent interminablement sans pouvoir toucher au vrai. Brusquement, Hui Nêng mit fin à cette discussion stérile en disant : « Ce n’est pas le vent qui bouge, non plus que l’oriflamme, Honorables Frères, ce sont vos esprits qui bougent ! » Les deux moines restèrent cois.

Cette dernière historiette peut être décrite ainsi : l’opposition entre l’intérieur et l’extérieur est un des thèmes les plus fréquents des koan. Ce koan s’appuie sur cette dualité. Le zen, grâce à ses différents outils (zazen – méditation assisekufû et kôan) et les arts qui en dérivent proposent de rejeter cette perception intrinsèquement conflictuelle. Ne plus séparer l’intérieur et l’extérieur, le corps et l’esprit, soi et autrui, développer une nouvelle vision de l’être, totalement harmonieuse, tel est l’objectif.

Je trouve le kôan très utile à la réflexion intérieure. Il se différencie du haïku – sur lequel je reviendrai dans un prochain post-  poème très court mais sans symbolisme, qui livre des sentiments et saisit la vie comme elle s’écoule, sans égotisme. En revanche, le kôan est l’outil, ou le véhicule, qui permet d’arriver au plus profond de soi.

Le maître donnait parfois un seul kôan à son disciple, qui le méditait pendant des années. Il ne recevait aucune explication… Le jour où il comprenait ce kôan, il avait atteint l’illumination.

Le kôan est donc une voie subtile et riche du zen, il nous propose de communiquer directement avec notre « nature absolue », notre « nature de Bouddha ».
Le zen, quant à lui, nous permet de nous libérer des dogmes, des préjugés, et d’empêcher le vagabondage de notre esprit dans le monde des concepts. Ce qui compte, c’est la réalité, c’est l’Eveil, c’est la Pleine Conscience…

Dans ma recherche spirituelle, je n’ai pas encore utilisé le kôan, mais l’écriture de cet article aiguise ma curiosité en ce sens. Je ne manquerai pas de vous indiquer combien de mois m’auront pris la résolution d’un kôan!

*extraits cités de Sakura Sensei (pseudo) in La Lettre du Goshen Budokai.

ndlr : le bonze est prêtre ou un moine bouddhiste de l’Asie du Sud-Est.

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