« Dans la ville polonaise de Cracovie vivait autrefois le rabbin Eisik Ben Yekel. Il était pieux et bon, mais dans sa communauté régnait une éternelle misère et le rabbin lui-même menait une vie rude. Eisik ne sortait point des soucis et passait son temps à se demander : « Avec quoi ma femme achètera-t-elle le poisson pour Shabbat ? Où trouver l’argent pour la réparation de la synagogue ? » Dès qu’il réussissait à résoudre un problème, deux autres surgissaient aussitôt.
Si cette pauvreté affligeait Eisik, elle irritait sa femme Yenta qui répétait sans cesse : « Eisik, nous n’avons rien à manger et toi tu te contentes d’attendre un miracle. Fais quelque chose ! »
Plusieurs années s’écoulèrent ainsi. Mais un hiver Eisik fit, plusieurs nuits de suite, le même rêve étrange : un vieil homme, coiffé d’un large chapeau de fourrure, lui apparut et lui dit : « Eisik, rends-toi à Prague et creuse sous le pont qui mène au château royal, tu y trouveras un trésor. » Le rabbin ne prêta guère attention à ce rêve, mais celui-ci se répéta une quatrième, puis une cinquième fois, et il se prépara tout de même à aller à Prague.
En voyant à l’horizon les tours de la capitale de la Bohême, Eisik prit la direction du pont qui menait au château royal. Mais en arrivant, il fut vite déçu : il avait devant lui un grand pont placé sous la surveillance d’un gardien. Même s’il entreprenait de creuser jour après jour au bord de la rivière, il en aurait pour plusieurs mois. Constatant cela, il ne tenta même pas de se mettre à la tâche. Comment le faire d’ailleurs sans attirer l’attention du gardien ? Rabbi Eisik resta de longues heures sous le pont, depuis l’aube jusqu’à la nuit, en pensant à son rêve, mais aucune solution ne se faisait jour. « Tout ceci m’arrive parce que j’ai cru à un songe », se reprochait-il avec humeur. « Il n’est pas donné à chacun d’être prophète et de pouvoir se fier à ses visions ! »
Déjà, il se préparait à retourner à Cracovie lorsque le gardien l’appelle : « Je t’observe depuis plusieurs jours déjà », lui dit-il, « et je serais curieux de savoir pourquoi tu traînes toujours sous ce pont. » Le rabbin aurait préféré ne pas parler de son rêve, mais il n’avait guère le choix. Il révéla donc à l’homme la raison de son voyage à Prague. Celui-ci se mit à rire à gorge déployée. « Comment as-tu pu te laisser prendre à ces sornettes ! Moi-même si j’obéissais à ces rêves absurdes, il y a beau temps que je serais à Cracovie ! »
– « A Cracovie ! Mais qu’as-tu rêvé ? » demanda le rabbin piqué par la curiosité.
– « Que je devais me rendre chez un pauvre juif nommé Eisik Ben Yekel et creuser sous sa cheminée », répondit le gardien. « Il devrait s’y cacher un immense trésor. »
Puis se penchant vers Eisik, il ajouta : « As-tu entendu pareille sottise ? À supposer que cela soit vrai, comment trouverais-je cet Eisik Ben Yekel ? Il faudrait que je cherche dans tout Cracovie ! »
En entendant ces mots, Eisik reprit tout aussitôt le chemin du retour et arrivant chez lui, il salua à peine son épouse Yenta, se saisit d’une pioche et se mit à creuser sous la cheminée. Yenta incrédule le regardait faire, mais son étonnement se changea en joie quand, voyant la pioche heurter un coffre ferré et son mari l’ouvrir, elle vit apparaître des milliers de ducats d’or qui scintillaient dans la petite pièce sombre.
Dès lors, Rabbi Eisik et sa petite communauté ne connurent plus la misère. Il passa la fin de sa vie à louer, jour après jour, le nom saint, répétant inlassablement ces mots : « Toi seul sais où se trouve le meilleur de l’homme. Chacun peut courir le monde entier pour le chercher, alors qu’il se trouve tout près de lui. »
Et vous, ne cherchez-vous pas trop loin le trésor qui est au creux de vos mains?…
*Conte du Trésor rêvé, d’après les © Contes juifs, éd. Grund, 1986.
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