Je voudrais ĂȘtre une vieille avec une dent en or.

Ce matin en me prĂ©parant, je me suis regardĂ©e dans le miroir en me disant que l’idĂ©e de vieillir pouvait ĂȘtre lĂ©gĂšre, voire amusante. Je me suis vue avec des cheveux gris et… une dent en or. Oui, c’est mon cĂŽtĂ© manouche, j’ai toujours rĂȘvĂ© d’avoir une dent en or, sans oser le faire. Alors ce sera peut-ĂȘtre ma fantaisie de dame ĂągĂ©e. Et cette idĂ©e m’a mise de bonne humeur. Une vieillesse franchement acceptĂ©e est une seconde jeunesse.*

Quand je serai vieille, je serai bohĂ©mienne, indienne ou africaine. Haute en couleurs, baladant ses breloques avec nonchalance, dansant encore, fumant peut-ĂȘtre. En tout cas pas de ces vieilles que l’on voit sur les images d’assurance dĂ©cĂšs, obsĂšques, maisons de retraite et autres publicitĂ©s aseptisĂ©es de pays occidentaux qui, non seulement ont un dĂ©samour pour leurs vieux mais en ont honte et n’y voient que le marchĂ© de « l’or gris ».

Or moi, j’aime les vieux. Évidemment pas les vieux schnocks, rejetant toute vie diffĂ©rente et aigris dĂšs leur plus jeune Ăąge. Mais les vieux souriants, les savants, les gourmands et mĂȘme les impotents. Les taiseux et les bavards. Les nostalgiques aussi. Ceux dont la sagesse n’a d’Ă©gale que leur bienveillance. Ceux dont la rudesse imprime la paume des mains. Et ceux dont les ombres d’une longue vie ont laissĂ© des tĂąches indĂ©lĂ©biles sur leur peau fine.

Un joli vieux, une jolie vieille, ce n’est pas du toc : c’est la somme d’une vie et de bien d’autres, un regard tendre sur sa descendance, une envie de couler des jours paisibles en pleine santĂ©, pour profiter des siens et de l’inattendu. Être vieux, c’est ĂȘtre dans l’essentiel, dans l’essence du moment. DĂ©jĂ , le mot lui-mĂȘme me plaĂźt : il est une promesse de longĂ©vitĂ©, d’avoir traversĂ© le champ des possibles. Il est plein de sens, de charme, de clins d’yeux, d’histoires Ă  raconter.

J’ai le souvenir trĂšs prĂ©cis des annĂ©es de collĂšge oĂč, rĂ©guliĂšrement dans le bus, les personnes ĂągĂ©es me faisaient la conversation. Je trouvais cela Ă©tonnant mais jamais dĂ©plaisant. Certains vieux m’agacent mais m’attendrissent, quelques uns me passionnent et d’autres me font une peine infinie dans leur grande solitude. J’aimerais les prendre dans mes bras.

J’ai entendu un mĂ©decin dire que lorsqu’une personne s’occupait d’enfants malades – en tant que professionnel ou bĂ©nĂ©vole – c’Ă©tait un peu pour rĂ©parer son enfance. Moi, j’aimerais donner du temps et de la parole aux anciens, sĂ»rement un peu pour prĂ©parer ma propre vieillesse et apprivoiser ma mort.

Comme tout le monde, je souhaite rester alerte et, soyons ambitieux, intĂ©ressante encore trĂšs trĂšs longtemps. Mais je ne crains pas de m’imaginer bien ridĂ©e, moins vive, maugrĂ©ant contre mes douleurs (sur ce point, je reconnais que je me serai entraĂźnĂ©e toute ma vie !). Je suivrai probablement le chemin du grand Ăąge sans rĂ©sistance dĂ©mesurĂ©e, mais en osant quelques dĂ©tours de curiositĂ©. Bon, je ne voudrai pas trop en faire alors je resterai sobre et digne (quoique?) malgrĂ© mes Ă©lans passĂ©s de fantaisiste passionnĂ©e. J’aurai le dĂ©clin discret mais reluisant.

Alors, si je peux croquer la pomme aussi tard que possible, ce sera avec une dent en or.

*Adolphe d’Houdetot in Dix Ă©pines pour une fleur (1853)