En wolof – langue nationale du Sénégal –  on se salue ainsi :

– *Comment ça va? = Nanga def ?

– Ça va bien = Mangi fi rekk  — littéralement : je suis juste là …

« Je suis juste là » : n’est-ce pas une façon limpide de manifester un état, signifiant qu’on est dans le moment présent ?

Le fait est que les gens, là-bas, semblent vraiment vivre l’instant présent, et ce pour plusieurs raisons, notamment parce qu’il n’est sans doute pas utile de penser à l’après-demain alors que le souci est déjà de pouvoir se nourrir aujourd’hui. Et puis, à quoi bon s’en faire pour ce qui n’est pas encore arrivé ? Mais, au-delà, je crois que c’est surtout une façon de vivre, avec une forme de flegme (« quelques minutes sénégalaises » et des kilomètres indéfinis pour indiquer des distances par exemple) et, au delà de toutes les immenses difficultés, le panache d’un esprit positif : chaque problème a une solution et réjouissons-nous de ce que nous avons.

Vous l’aurez compris, j’ai trouvé dans la vision sénégalaise de l’existence, un lien étroit avec la philosophie bouddhiste que j’affectionne : vivre le moment présent, ne pas trop s’en faire afin de prendre la nature des choses comme elle s’offre à nous, profiter de ce que la vie, Mère nature ou Dieu, selon les croyances, nous procure. Et si j’ajoute la place accordée à la famille et aux anciens, l’amour porté à leurs enfants, je trouve chez les sénégalais d’abondantes sources d’inspiration.

J’ai fait un bien joli voyage. De Saint-Louis la belle endormie avec ses « bals poussières » à La Somone balnéaire, en passant par Thiès la bouillonnante et les dibiteries, le Lac Rose qui est gris, le désert de Lompoul qui nous renvoie à notre intériorité, la mangrove sereine du Saloum en pirogue, les lagunes aux crabes violonistes, les champs très secs où le merle métallique moqueur le dispute au tisserin bâtisseur, les villages peuls ou sérères qui fourmillent d’enfants mordus de foot, Joal Fadiouth, ce village de coquillages où chrétiens et musulmans partagent tout, y compris le même cimetière, Dakar à l’extrême pointe Est de l’Afrique avec son gigantesque marché de Sandaga où tout est « moins cher que gratuit » et la belle Halle de Soumbedioune, M’Bour et ses courageux pêcheurs… jusqu’à la magique et tragique île de Gorée où j’aurais aimé séjourner et palabrer.

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Un parcours riche en émotions de joie et de tristesse, ponctuées de belles rencontres, bienveillantes et généreuses – y compris parmi les toubabs 🙂 (les non sénégalais).

Je me suis régalée de la vue de tous ces flamboyants et baobabs, arbres si majestueux naguère tombeaux des griots, créant le choc des titans avec les fromagers, comme deux lutteurs sénégalais ; du son des djembés envoûtants et de la kora du conteur improvisant tel un troubadour ; du goût acide du jus de bissap (fleur de l’hibiscus) et celui régressif des mangues (bien que ce ne soit pas la saison – pointe d’humour pour nos compagnons de voyage).

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Malgré la beauté des lieux et des visages, je n’ai pu perdre de vue – avec une forme de dépit lié à l’ampleur des dégâts dont l’occident est en partie responsable – l’immense pauvreté, les fragiles conditions sanitaires et l’âpreté des multiples petits métiers sous la chaleur accablante n’effaçant pas ces nombreux sourires qui ont forcé mon admiration. Je ne connais pas encore l’Inde mais quelque chose me dit que ce ressenti trouverait un écho au pays de Bouddha et Gandhi.

Le dernier jour, j’ai écouté longuement, dans une chaleur matinale très prenante, un artiste artisan, Makha Diop. Il travaille, avec son fils, des objets traditionnels ou non, décorations, bijoux et meubles originaux à partir de récupération. Partageant un instant présent, ce monsieur a nourri ma culture spirituelle en ouvrant le champ des possibles sur la tradition musulmane. Et, par les temps qui courent, il m’a été précieux d’entendre les valeurs humaines d’un islam tolérant.

Je lui avais demandé, quelques jours auparavant en dévalisant sa boutique, s’il pouvait me procurer un chapelet traditionnel (j’en garde de différentes religions). Lorsque je suis revenue, il m’en avait trouvé un en ébène, très typique d’une confrérie musulmane : les Baye Fall, issus du Mouroudisme fondé par Serigne Touba. Il m’a alors conté leurs origines et un pan de vie du Sénégal.

Je vais tenter de résumer leur mode de pensée, en espérant ne pas travestir le récit : le marabout Mame Cheikh Ibrahma Fall a décidé, au temps de la colonisation française – ce qui lui a valu d’être emprisonné – de ne prendre dans les versets du Coran que ce qui lui paraissait bon et de dispenser un enseignement de tolérance, liberté et partage.

Il n’y a, chez ces adeptes, pas de dogme liberticide ou de jugements ; les seuls interdits sont de mentir, voler, avoir de la rancune et faire du mal à autrui. On doit aider les autres, quels qu’ils soient, en particulier les personnes dans le besoin. Etre un Baye Fall c’est avoir un grand coeur, détaché des possessions matérielles et dans le respect de la nature.

Pour les Baye Fall – souvent habillés de boubous de couleurs, certains portant des rastas (en vertu de la tolérance d’apparence) – l’humilité est la première vertu d’un croyant. Ce qui compte ce n’est pas la prière, le voile, le jeûne et toute autre pratique, mais de travailler à devenir meilleur : « l’homme est son propre sculpteur et son seul outil est la volonté ».

Les disciples de cette confrérie, qui passent parfois de longues heures en invocations avec leur chapelet ou à écouter le guide spirituel mais pratiquent également la poésie et la méditation, ne sont pas vus d’un bon oeil par certains musulmans plus radicaux. Cependant ils sont majoritaires, ce qui les protège, presqu’autant que les gris-gris en cories (coquillage) et en ébène dont sont parés les sénégalais depuis la naissance. Cette communauté wolof est originaire de Touba, où la terre n’appartient à personne car dans la mesure où l’homme vient de la terre et y retournera, celle-ci n’est pas aliénable, on ne spécule pas.

Voici comment, au Sénégal, pays de la Teranga (« hospitalité »), la culture traditionnelle, les religions et l’ouverture aux autres coexistent encore.

Je formule le voeu que cela puisse, à défaut d’être diffusé abondamment, y être préservé.

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Ndlr : ma gratitude va vers tous ceux que j’ai croisés, qui ont bien voulu répondre à ma multitude de questions, s’attarder sur la photo, me confier un instant leur enfant, à nos accompagnateurs attentionnés Abdoulaye, Malik et Dame, ainsi que Makha Diop qui m’ a offert de son temps, de son histoire et des perles en verre, pour protéger ma famille et me donner longue vie.

son site : http://niayesthiockerrecup.com/sous_verre.html