Il Ă©tait une fois, une seule fois, dans un des pays de notre monde, un homme que tous appelaient le Magicien des Peurs. Ce qu’il faut savoir, avant d’en dire plus, c’est que toutes les femmes, tous les hommes et tous les enfants de ce pays Ă©taient habitĂ©s par des peurs innombrables. Peurs trĂšs anciennes, venues du fond de l’humanitĂ©, quand les hommes ne connaissaient pas encore le rire, l’abandon, la confiance et l’amour. Peurs plus rĂ©centes, issues de l’enfance de chacun, quand l’incomprĂ©hensible de la rĂ©alitĂ© se heurte Ă  l’innocence d’un regard, Ă  l’étonnement d’une parole, Ă  l’émerveillement d’un geste ou Ă  l’épuisement d’un sourire.

Ce qui est sĂ»r, c’est que chacun, dĂšs qu’il entendait parler du Magicien des Peurs, n’hĂ©sitait pas Ă  entreprendre un long voyage pour le rencontrer. EspĂ©rant ainsi pouvoir faire disparaĂźtre, supprimer les peurs qu’il ou elle portait dans son corps, dans sa tĂȘte. Nul ne savait comment se dĂ©roulait la rencontre. Il y avait, chez ceux qui revenaient du voyage, beaucoup de pudeur Ă  partager ce qu’ils avaient vĂ©cu. Ce qui est certain, c’est que le voyage du retour Ă©tait toujours plus long que celui de l’aller.

Un jour, un enfant rĂ©vĂ©la le secret du Magicien des Peurs. Mais ce qu’il en dit parut si simple, si incroyablement simple, que personne ne le crut.

« Il est venu vers moi, raconta-t-il, m’a pris les deux mains dans les siennes et m’a chuchotĂ© :

– DerriĂšre chaque peur, il y a un dĂ©sir. Il y a toujours un dĂ©sir sous chaque peur, aussi petite ou aussi terrifiante soit-elle ! Il y a toujours un dĂ©sir, sache-le ».

« Il avait sa bouche tout prĂšs de mon oreille et il sentait le pain d’épices » confirma l’enfant.

« Il m’a dit aussi :

– Nous passons notre vie Ă  cacher nos dĂ©sirs, c’est pour cela qu’il y a tant de peurs dans le monde. Mon travail, et mon seul secret, c’est de permettre Ă  chacun d’oser retrouver, d’oser entendre et d’oser respecter le dĂ©sir qu’il y a sous chacune de ses peurs. »

L’enfant, en racontant tout cela, sentait bien que personne ne le croyait. Et il se mit Ă  douter à nouveau de ses propres dĂ©sirs. Ce ne fut que bien des annĂ©es plus tard qu’il retrouva la libertĂ© de les entendre, de les accepter en lui.

Cependant, un jour, un homme décida de mettre le Magicien des Peurs en difficulté.

Oui, il voulait le mettre en Ă©chec. Il fit le voyage, vint Ă  lui avec une peur qu’il Ă©nonça ainsi :

– J’ai peur de mes dĂ©sirs !

Le Magicien des Peurs lui demanda :

– Peux-tu me dire le dĂ©sir le plus terrifiant qu’il y a en toi ?

– J’ai le dĂ©sir de ne jamais mourir, murmura l’homme.

– En effet, c’est un dĂ©sir terrible et fantastique que tu as lĂ .

Puis, aprÚs un temps de silence, le Magicien des Peurs suggéra :

– Et quelle est la peur qu’il y a en toi, derriĂšre ce dĂ©sir ? Car derriĂšre chaque dĂ©sir, il y a aussi une peur qui s’abrite et parfois mĂȘme plusieurs peurs.

L’homme dit d’un seul trait :

– J’ai peur de ne pas avoir le temps de vivre toute ma vie.

– Et quel est le dĂ©sir de cette peur ?

– Je voudrais vivre chaque instant de ma vie, de la façon la plus intense, la plus vivante, la plus joyeuse, sans rien gaspiller.

– VoilĂ  donc ton dĂ©sir le plus redoutable, murmura le Magicien des Peurs. Ecoute moi bien. Prends soin de ce dĂ©sir, c’est un dĂ©sir prĂ©cieux, unique. Vivre chaque instant de sa vie de la façon la plus intense, la plus vivante, la plus joyeuse
 sans rien gaspiller, c’est un trĂšs beau dĂ©sir. Si tu respectes ce dĂ©sir, si tu lui fais une place rĂ©elle en toi, tu ne craindras plus de mourir. Vas, tu peux rentrer chez toi.

Mais vous qui me lisez, qui m’écoutez, peut-ĂȘtre, vous allez tout de suite me dire :

« Alors chacun d’entre nous peut devenir un magicien des peurs. » Bien sĂ»r, c’est possible, si chacun s’emploie Ă  dĂ©couvrir le dĂ©sir qu’il y a en lui, sous chacune de ses peurs ! Oui, chacun de nous peut oser dĂ©couvrir, dire ou proposer ses dĂ©sirs, Ă  la seule condition d’accepter que tous les dĂ©sirs ne soient pas comblĂ©s. Chacun doit apprendre la diffĂ©rence entre un dĂ©sir et sa rĂ©alisation


« Alors, tous les dĂ©sirs ne peuvent se rĂ©aliser, mĂȘme si on le dĂ©sire ? »

« Non, seulement certains. Et nul ne sait Ă  l’avance lequel de ses dĂ©sirs sera seulement entendu, lequel sera comblĂ©, lequel sera rejetĂ©, lequel sera agrandi jusqu’aux Ă©toiles !

« C’est cela, le grand secret de la vie. D’ĂȘtre imprĂ©visible, jamais asservie et en mĂȘme temps, immensĂ©ment gĂ©nĂ©reuse face aux dĂ©sirs des humains. »

Des rumeurs disent que le Magicien des Peurs pourrait passer dans notre pays.

Cette histoire est extraite de « Contes Ă  guĂ©rir, conte Ă  grandir » de Jacques SalomĂ© (Ed. Livre de Poche). Ces contes parlent Ă  l’enfant qui est en nous de maniĂšre douce et « espĂ©rante », ce en quoi il font du bien en toute simplicitĂ©.

Et vous, pourriez-vous trouver le dĂ©sir qui se cache derriĂšre votre plus grande peur, et qui vous rendrait alors un peu magicien ?…