Le monde me plaît sous toutes ses coutures, même lorsqu’elles sont prêtes à craquer.
J’aime le monde en tant que planète perdue dans la galaxie, le monde en tant que foule réunie, le monde au sens des gens qui m’entourent ou que je vais rencontrer un jour.
J’ai toujours adoré être ceinte, affectivement bien sûr, mais aussi charnellement. Passer du temps en famille, en groupe, en nombre intense me convient : la foule planante d’un concert au Stade de France ou d’une discothèque géante d’Ibiza, celle vibrante d’un match de foot, celle rassurante des marches populaires qui défendent les libertés, des promeneurs gourmands qui se pressent dans les marchés de Noël. Le monde m’électrise au sens où il abonde mon circuit d’énergie. C’est également pour cette raison – une alimentation énergétique et spirituelle – que je me rendrai au rassemblement d’Amma* et au pèlerinage gitan des Saintes Maries de la Mer.
Il n’y a guère que les densités des grandes surfaces (par manque d’intérêt pour ces lieux) et des visites d’expositions (lorsqu’elles m’interdisent d’admirer les œuvres tranquillement) qui me font partir en courant. Hormis cela, j’aime les bains de monde, et ce même lorsqu’il déverse des propos glaçants dans des rencontres publiques : au-delà des mots atterrants, provoquant parfois une violente colère, il se trouvera toujours un ou des individus pour vous réjouir d’être venu. Il en va ainsi d’une collègue en réunion, d’un jeune homme dans un regroupement citoyen ou d’un grand-père à une tablée familiale.
Mon goût pour la communauté de vie est proportionnel aux défections de mes proches : plus je perds des âmes – qui meurent, se détournent de moi ou dont je me détache – et plus je ressens le besoin de rejoindre une assemblée à-même de partager mon quotidien et mes aspirations. Et plus je suis déçue par les comportements individuels, plus j’aspire à me retrancher non pas sur une île désertée mais dans un village, tel un entre-soi idéal où je pourrais composer ma partition tout en contribuant à la chorale locale. Parfois les autres m’ennuient, mais pas le monde entier. Et tandis que le bruit d’une personne va m’incommoder, le son d’une soirée animée m’enivrera.
Il me semble que lorsque l’on aime tant les rassemblements, cela répond à une solitude intérieure. Le vœu inconscient d’un esprit isolé est de trouver son âme sœur dans tout lieu possible. Je ne m’étais jamais posée la question mais, tout récemment, cela m’a sauté au cœur : l’écho de ma solitude rebondit sur le brouhaha des tempos collectifs. Croire que l’agrégation d’êtres humains annihile la solitude, c’est penser que côtoyer le bonheur équivaut à être heureux.
J’ai souvent rêvé d’une retraite physique dans une maison de bord de mer ou spirituelle au Village des Pruniers de Thich Nhat Hanh, source d’un retour sur soi bienfaiteur. Je me suis également toujours délectée de ces moments en solitaire, choisis, où je ne fais plus qu’une avec moi. Mais c’était pour mieux « souffler » entre des centaines d’autres instants où je rejoignais la multitude, pour prélever ma part du bien universel, allant me repaître de l’énergie du monde. Car au fond, je demeurais seule, intensément seule, même connectée aux autres.
Et de me plonger dans une nuée de personnes, détentrices d’une palette d’émotions d’autant plus vaste que la dimension d’un groupe le permet. Malgré la récurrence de sombres constats sur l’évolution de l’espèce humaine, je me plais au milieu de tous, fleur sauvage d’un bouquet curieusement harmonieux. En dépit des égoïsmes qui me heurtent je continue à l’aimer, dans sa mixité. Le monde est le reflet de mon karma métissé.
Lorsque je me trouve tout au milieu du monde, au sein d’une foule joyeuse ou courageuse, que je parcours les visages marqués par les épreuves et rajeunis par l’espérance, je rends grâce de ma mise au monde. « Plus on connaît, plus on aime », disait Léonard de Vinci. Ainsi, à mesure que j’apprends à connaître le monde tel qu’il est, je le reconnais pour ce qu’il est : une authentique mosaïque d’egos et de sois qui ont, chacun pour ce qu’il peut, quelque chose à donner.
Pour rien au monde, je n’aurais voulu manquer ça!
*Amma (Mère en hindi) est une figure spirituelle de l’Inde, fondatrice de l’ONG « Embracing the World » à but humanitaire et écologique, qui effectue des tournées mondiales où elle offre le darshan (étreinte, acte d’amour) à des millions de gens.
Une de Libération sur la manifestation du 11 janvier 2015 à Paris.
Laisser un commentaire