Le titre du dernier ouvrage du philosophe Alexandre Jollien donne le ton de sa confĂ©rence, intitulĂ©e  « La joie dans le tragique de l’existence, avancer vers la grande santé ».

Le philosophe nous explique : « si la notion de bonne santĂ© met pas mal de gens sur la touche, « la grande santĂ© » d’inspiration nietzschĂ©enne, qui accueille les maladies, les tyrannies intĂ©rieures pour en faire quelque chose de beau, nous Ă©lĂšve et nous rapproche de la joie, celle du dire oui Ă  l’existence. Le dĂ©fi, c’est de ne pas se laisser tyranniser par un dĂ©sir, une pulsion. C’est de bĂątir joyeusement un Ă©quilibre, expĂ©rimentant cette formule elle aussi de Nietzsche : « il faut encore porter du chaos en soi pour accoucher d’une Ă©toile qui danse ».

Ainsi, la maladie, le handicap ou les tourments intĂ©rieurs ne sont pas l’opposĂ© de la santĂ©, ils participent Ă  notre progrĂšs intĂ©rieur, Ă  notre chemin dans la joie et l’amour.

« Je planche actuellement sur la question du tragique de l’existence, poursuit Alexandre Jollien. Comment trouver la joie, pleine et entiĂšre au cƓur des tourments. Et rĂ©cemment, sur ce terrain, une Ăąme avisĂ©e m’a donnĂ© un sacrĂ© coup de main. Nous Ă©tions en plein dĂ©mĂ©nagement, nous venions d’arriver de SĂ©oul et, devant la pagaille, elle a eu ces mots qui agissent, depuis, comme un mantra : « C’est le bordel, mais il n’y a pas de problĂšme! ».
Quelle plus belle invitation Ă  ne pas faire de l’Ă©preuve un adversitĂ©, Ă  rire devant ce qui nous Ă©chappe, Ă  laisser un peu de cĂŽtĂ© cette soif de tout maĂźtriser ?
Le zen propose un voie qui y mĂšne : celle de couper la petite voix intĂ©rieure qui commente tout (je connais pour ma part trĂšs bien cette voix, qui s’Ă©chappe d’ailleurs trĂšs souvent vers l’extĂ©rieur). Nous pouvons alors passer de la conception de ce qui nous arrive Ă  la perception de ce que l’on ressent, Ă  l’instant prĂ©sent, car lorsque l’on commente on met les choses dans des boĂźtes, dans des catĂ©gories et on augmente la souffrance. Si le tragique ne dĂ©pend pas de nous, le psychodrame, qui se joue dans notre tĂȘte, lui, dĂ©pend de l’individu.
DĂšs lors le propos est simple : il convient d’aimer la vie telle qu’elle est dans le rĂ©el, sans filtre. Ce qui induit de savoir vivre le tragique, en laissant grincer allĂšgrement, apprendre Ă  ne pas toujours lutter, rĂ©sister, ne pas faire de l’Ă©preuve une adversitĂ© : « ça grince toujours, mais y a pas de problĂšme ».
J’ai en Ă©cho la phrase antillaise quasi culturelle « pa ni pwoblem » qui permet, quelques soient les circonstances, de garder une porte ouverte Ă  toute forme d’amĂ©lioration.
Si, comme « Bouddha, on s’engage sur la voie spirituelle pour ne pas souffrir ultimement, on peut accepter le tragique de l’existence ». Et la rĂ©ponse Ă  ce dernier rĂ©side dans le fond du coeur : c’est le oui. L’acceptation -et non la rĂ©signation- sans « pour-quoi » et s’extraire de la rentabilitĂ© de l’action, voici deux clefs.
C’est ce que l’on retrouve dans la mĂ©ditation qui permet d’Ă©chapper Ă  la logique du but, Ă  l’esprit de profit. C’est l’essence mĂȘme de l’amour inconditionnel, qui se vit sans contrepartie, sans jugement.
Le philosophe nous Ă©claire de plusieurs mĂ©taphores tout au long de la sĂ©ance, tantĂŽt hĂ©donistes, tantĂŽt cyniques mais chaque fois si honnĂȘtes. Il sait mettre de la douceur dans ses profonds propos. Lors des ses confĂ©rences, il montre tant de dĂ©termination au bonheur que l’on en sort convaincu : tous les « pourquoi » nous accablent.

« Jour aprĂšs jour, une seule rĂšgle nous guide : faire confiance, apprendre le dĂ©tachement, ĂȘtre dans l’abandon et la joie, quelles que soient les circonstances. » On ne peut qu’y croire lorsque, simplement, on observe l’Ă©nergie que l’on met Ă  se plaindre, Ă©nergie qui ne peut alors ĂȘtre investie dans la joie.

Merci Ă  Alexandre Jollien, qui a notamment Ă©crit « L’Ă©loge de la faiblesse » et parvient, malgrĂ© son handicap, Ă  ne pas tomber dans le pathos et, grĂące Ă  son handicap, Ă  nous ramener doucement vers notre propre humilitĂ© : « le handicap est surtout un problĂšme pour le mental, le problĂšme c’est de ne pas accepter d’ĂȘtre handicapé ».

La grande santĂ©, ce n’est pas de vouloir Ă  tout prix, en serrant les dents, passer Ă  autre chose, mais de vivre avec ses blessures.

* « Vivre sans pourquoi » : son dernier ouvrage de rĂ©cits quotidiens et rĂ©flexions spirituelles nous invite Ă  mieux vivre. « Initiation spirituelle pour une vie laĂŻque, il est un livre de sagesse, unique et singulier, bien ancrĂ© dans notre modernitĂ©, un tournant dans l’Ɠuvre d’Alexandre Jollien ». Personnellement, j’ai beaucoup souri et entendu ses paroles comme des conseils murmurĂ©s.

Je recommande également ses Pharmacopées, pensées sages et positives qui se lisent comme des recettes-remÚdes : https://www.alexandre-jollien.ch/pharmacopees/