Depuis la vie in utero on se sent -a priori- en sécurité lorsque l’on est enveloppé de son monde à soi, à l’abri du reste de l’humanité. Parce que l’inconnu, la nouveauté, le différent, le changement fait plus ou moins peur, la tentation est grande de s’entourer d’un voile protecteur. C’est parfois même de l’entourage que l’on se prémunit en se parant d’une moustiquaire affective ou en bâtissant une forteresse émotionnelle, au cas où la relation interpersonnelle soit porteuse d’une intrusion, une remise en question, un jugement, un miroir du passé douloureux, etc.
Qui plus est, quand on s’ouvre à l’échange c’est que l’on doit donner, et pas seulement accepter. Mais donner peut engendrer malentendu, conflit ou dette, ne fût-ce qu’affective, ou simplement créer un lien que l’on ne saura entretenir, qui peut décevoir, se perdre, faire mal.
Tout cela est bien souvent inconscient. Mais n’avez-vous jamais eu envie de ne pas entamer de relation par crainte de devoir vous dévoiler ? ou la tentation de refuser un acte ou une parole bienveillante pour ne pas être redevable ? ou le réflexe de tenir à distance un échange intime susceptible de vous faire apparaître – selon vous- diminué(e) ? Moi si.
Cependant cette posture est doublement source de misère personnelle.
Tout d’abord il y a une perception erronée dans le fait de tenir les autres à distance pour se rassurer dans son monde personnel : ce monde n’est pas celui qui nous sécurise le plus si nous n’avons pas nourri notre intérieur de sources de joie et de bonheur. Utilisons la métaphore du voyage : après la découverte d’autres horizons, ce n’est pas le retour « chez nous » qui nous permet d’échapper au mal-être, qu’il soit intérieur ou ressenti ailleurs, en présence d’autres personnes, car la joie du retour est de courte durée lorsque la souffrance enfouie émerge à nouveau.
Ensuite – et on s’en aperçoit rapidement en suivant le cours de la vie – c’est précisément parce que le différent, le nouveau et tout simplement l’autre recèlent une infinie de bienfaits qu’il est tellement préférable de se laisser approcher et nourrir de l’essence des autres, de laisser tomber le voile du rejet et de briser les chaînes de la retenue. C’est un délice que de le découvrir et de le cultiver.
Ceci énoncé, encore faut-il pouvoir se livrer naturellement, sincèrement et spontanément, dans toutes ses capacités comme dans ses limites et, surtout, ses faiblesses. Se donner, sans attachement à l’image, aux principes hérités de l’enfance ou ceux que l’on s’est forgés comme une armure, sans préjugés sur l’autre ni a priori sur soi… Quelle aventure, non?…
Et comme on ne peut donner qu’en acceptant de recevoir et que l’on ne peut éprouver de la joie, de l’amour et de la gratitude que si l’on accueille la peine et la peur de la même façon que toute autre émotion, les choses se compliquent…
Lorsque dans « Prendre soin de l’enfant intérieur » Thich Nhat Hahn nous invite à accueillir toutes les émotions, il va loin en nous exposant un moyen de « prendre soin des sensations douloureuses » – oui, en prendre soin. Toutefois il nous précise qu’il faut commencer par « renforcer nos fondations de joie et de bonheur, avant de nous consacrer à notre souffrance (…). La première chose alors à faire est de relâcher, de laisser faire, car la joie prend racine dans le lâcher prise. C’est davantage en relâchant chez nous (en nous) quelques-unes des choses que nous croyons cruciales que nous éliminons des obstacles au bonheur. » Ne plus être sous contrôle.
Puis, grâce à la pleine conscience de ce que nous avons, nous consolidons les fondations du bonheur et pouvons alimenter notre « capacité à bavarder avec nos souffrances comme avec de vieux amis », comme l’indique le moine bouddhiste, en en prenant soin, afin de nous détacher de la barrière du passé qu’elles forment. On se sent alors en sécurité et le « bonheur dans l’instant présent est directement accessible ».
En somme, le champ magnétique de répulsion des émotions nous conduit à l’enfermement et au dessèchement de l’esprit et du coeur. Et cet état produit une enveloppe de mal-être, pour ne pas dire un cocon du malheur. En ouvrant son monde intérieur, on laisse l’humanité extérieur nous compléter, au sens fort de complétude, qui ferait de nous des êtres complets, achevés, tel un tableau signé.
Un des meilleurs moyens de s’ouvrir est de faire preuve de bonté à l’égard de ses émotions, dont celles que nous procure toute autre personne, de ne plus les craindre mais les aimer.
Pour vous, quelle émotion est-elle la plus difficile à vivre ? Comment pourriez-vous mieux l’accueillir ? Qu’est-ce je risque à m’ouvrir pleinement aux autres? A l’inverse, qu’est-ce que je rate de bon?
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