EPISODE 4 (suite et fin)
Ce jour-là, le soleil brillait plus que d’ordinaire au-dessus du baobab, du champignon et des roseaux. Seul un petit nuage planait sur la colline, au loin. Ce dimanche d’hiver était une journée particulière pour les trois lutins qui devaient se rendre chez Saphir, le lutin juge qu’ils n’avaient pas vu depuis fort longtemps.
Ils arrivèrent après de longues heures de marche pendant lesquelles ils avaient bavardé, s’arrêtant parfois à l’ombre dense d’un pin parasol ou se rafraîchissant dans une cascade de rire. Ils étaient si joyeux!
Saphir les accueillit chaleureusement dans sa grotte éclairée par des lucioles et leur offrit de l’eau claire d’une cruche en céramique et des fruits luisants provenant de son verger, avant de les interroger sur leurs aventures. Les trois amis avaient, chacun à sa façon, accompli d’importantes missions. Saphir les écouta gravement, à tour de rôle, en laissant une longue pause entre chaque récit.
Grâce à Mica, par exemple, un couple séparé avait pu retrouver des liens d’amitié même si l’amour qui les unissait autrefois s’était égaré. La lutine était parvenue, maintes fois, à repriser le tissu de l’affection et du respect qui se déchirent parfois entre frères et soeurs, entre parents et enfants ou s’usent peu à peu.
Onyx, le plus sollicité en sa qualité de lutin de la souffrance, s’était attardé auprès de nombreuses personnes affectées par la faim ou la maladie. Sans jamais renoncer malgré l’immensité de la tâche, il faisait de son mieux pour alléger les fardeaux. Mais leur état misérable et, plus que tout, le nombre de ces oubliés de l’humanité le révoltait profondément. Onyx était un peu le guide des autres lutins dans leurs actions, il gardait sa clairvoyance et son sang froid, ce qui mettait les autres en confiance.
Rubis, lui, avait répandu de justes propos emplis de gentillesse sur des jeunes gens que tout opposait et qui peinaient à découvrir le vivre-ensemble. Mais ces derniers avaient fini par comprendre qu’ils devaient se respecter dans leurs différences car celles-ci les enrichiraient bien plus que tous les trésors qu’ils convoitaient.
Cependant, il arrivait à tous ces lutins que leur action ne soit que succès éphémère, car les humains avaient une propension à retomber dans leurs travers et à trébucher dans leurs maux. Et puis il leur fallait admettre que chaque être ne dispose pas des mêmes ressources pour faire face à l’existence. Fort heureusement, Dame Nature laissait une grande liberté aux lutins pour mener à bien leur entreprise et leur accordait le temps nécessaire, si précieux sur cette planète et si souvent gaspillé…
Dissimulant malgré tout sa satisfaction, le juge du Juste Milieu félicita Onyx, Mica et Rubis pour leur courage, leur ténacité, leur bon sens et leur amour indéfectible pour les autres. Puis il les entendit raconter, dans leur dernier récit, la mission qu’ils avaient partagée en aidant le même malheureux sur une longue tranche de vie.
Les lutins lui relatèrent leur rencontre avec l’homme qui avait perdu simultanément son amour, sa foi en lui et en ce que la vie possède de meilleur. Ils expliquèrent à Saphir que le temps était devenu l’ennemi de cet homme démuni, mais grâce à leurs interventions, sa peine était adoucie et il lui était à présent permis d’ouvrir les yeux sur le bonheur qu’il lui restait, juste là, au creux des mains.
Saphir avait fermé les yeux en les écoutant, afin de mieux vivre l’aventure. Les lutins avaient parlé l’un après l’autre sans s’interrompre et leur aîné paraissait satisfait de leur comportement. Il leur dit alors, de sa voix paisible :
-Mes chers petits, je suis fier de ce que vous avez accompli. Vous avez su utiliser vos dons avec sagesse et ainsi diffusé infiniment de paix, de fraternité et de justice.
Et, ajoutant avec un clin d’oeil :
-Dame Nature saura être reconnaissante en prolongeant vos bienfaits et votre liberté. Car cette tâche est sans fin et d’autres lutins viendront un jour vous relayer…
Onyx, Mica et Rubis étaient tout heureux. Cependant, humbles, ils gardèrent le silence, contemplant les tablettes que Saphir tenait entre ses mains toutes plissées : elles étincelaient de tout leur or !
Soudain, Saphir ouvrit grand les yeux et regarda le ciel : le nuage qui enveloppait la colline avait disparu. Dame Nature acquiesçait.
Il reprit alors la parole. Sa voix était maintenant profonde et douce :
-A présent, amis lutins, je peux vous livrer le mystère du Juste Milieu : si vous aviez échoué, c’est que vous n’étiez pas encore aptes à diffuser l’Harmonie entre les hommes. Vous auriez alors connu une sanction irrévocable : Dame Nature vous aurait fait humains ! En revanche, si cet homme dont vous avez éclairé le chemin comprend les leçons de la vie jusqu’à la fin de la sienne, enseigne à son tour vos sages conseils jusqu’à sa dernière saison et répand les grains de l’amour jusqu’à son ultime souffle, eh bien, il se pourrait qu’il devienne un jour un lutin…
Puis Saphir ferma les yeux et se tut : c’était sa manière de mettre fin à leur rencontre.
Les trois lutins se regardèrent ébahis mais ravis de connaître ce formidable secret. Puis ils quittèrent lentement la grotte tandis que la nuit tombait et descendirent de la colline vers le baobab, le champignon et les roseaux. Le hululement d’une chouette les accompagna sur le chemin du retour. Ils devaient sans tarder se reposer de leurs émotions, car très vite un nouveau jour se lèverait sur l’Ordre des choses dans la vie des hommes.
FIN
Note de l’auteur : ce conte, écrit en 1995, s’est appelé, au fil des années : Onyx le lutin du miel et ses amis / Onyx et l’ordre des choses/ Onyx et les saisons de la vie puis… Onyx et les âges de la vie.
Je crois qu’il y a bien un Pimprelin en chacun d’entre nous mais également un petit Onyx… J’espère qu’il aura semé en vous des graines de sourire, d’espoir, d’amour, de justice et de paix…😌
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