Ce que je crois en mon for intérieur de la situation sanitaire et de ses retombées – sans autres connaissances que l’observation, le questionnement, la lecture, l’écoute de mes concitoyens – c’est que le drame se cache dans les détails.

Je n’ai pas le sentiment qu’au regard de l’Histoire cette pandémie sera plus meurtrière que certaines. L’avenir nous le dira. Et, de toutes façons, chaque mort est de trop. En revanche, cette situation est davantage impressionnante, peut-être parce que nous n’avions pas vécu de drame planétaire depuis fort longtemps, mais également du fait d’une communication instantanée permanente et d’une mondialisation des flux qui nous rend impressionnables. Tout va plus vite, pus fort et plus loin, le virus aussi : il s’est fort bien adapté à notre époque et à notre civilisation. 

Il est d’ailleurs parvenu à cultiver les divisions et entériner les fractures : l’occident et le péril étranger, les démocraties et les privations de liberté, les anciens et la jeunesse, les politiques et le corps électoral, les pays pauvres et les gens riches, les anti vax, les anti pass et les vaccinés… Tout ceci aura nourri les extrémismes de tout bord, là où nous avions tant besoin de faire corps, là où solidarité et assistance auraient du prévaloir.

Comment en est-on arrivé là? Grâce au combo peur-culpabilité, un couple irrésistible mais vénéneux. 

Une peur légitime, n’épargnant au départ ni les scientifiques, ni les politiques, ni les citoyens. J’ai eu peur en mars 2020, autant de mourir en étouffant que de perdre les autres. J’ai eu des inquiétudes lorsque le virus m’a rendu visite malgré mes précautions. Je me suis dit que tout irait bien, mais l’anxiété m’a bien agacée un matin puis un soir, quand le souffle me manquait. Et puis je m’en suis bien remise, malgré quelques mois désagréables.

La peur à elle seule avait déjà permis de faire prendre toute une série de mesures ultra-protectrices contraignantes, souvent contradictoires. Puis nous nous sommes retrouvés badigeonnés de culpabilité. Inconscients de ne pas porter le masque, de se regrouper, d’embrasser (voire de visiter) nos aînés, mais, surtout, irresponsables de ne pas se faire vacciner : les soignants (un jour portés aux nues, le lendemain incriminés) puis les jeunes et leur insouciance, puis les salariés, puis tout un chacun. Les mesures protectrices ont ainsi laissé place à d’autres, excluantes et punitives. Le passe sanitaire les a couronnées.

Je suis, à titre personnel, favorable aux vaccinations. Toutes celles qui ont éradiqué la variole, le tetanos, la polyo et autres maladies difformes ont contribué au mieux-vivre des populations. Si on pouvait en disposer pour le palu ou le sida, on s’en réjouirait. Celle contre le Covid semble être efficace pour les publics fragiles, qui portent en eux le germe d’une gravité et qui auraient pu, si l’on y songe, y laisser leur peau lors d’une grippe, d’un virus neuropathe méconnu (pour lequel la recherche s’est moins mobilisée car peu transmissible) ou d’un autre drame de la vie. Elle semble ralentir un peu la transmission, laissant souffler quelque peu l’espace hospitalier. 

Mais on ne dispose d’aucun recul suffisant sur le vaccin, son efficacité à moyen terme, ses effets secondaires à long terme (surtout pour la technique de l’ARN). 

De ce fait, je me sens légitime à être réticente à la vaccination obligatoire (tapie sous le masque du passe sanitaire) et en particulier celle des mineurs, qui portent à ce titre le poids de l’avenir alors qu’ils ont déjà le fardeau de nos erreurs passées. 

Je suis d’autant plus sceptique sur cette campagne que j’ignore sa réelle capacité à créer l’immunité recherchée. Cet échec pourrait même s’avérer dès l’automne. J’aimerais me tromper. Cela aura juste adouci la vague durant laquelle peu d’individus en bonne santé se seraient noyés et à peine retardé celle qui va submerger psychologiquement et socialement des millions d’autres. Car c’est bien là que se niche le drame.

J’entends dire que l’homme est immature et que si chacun, sur tous les territoires, avait respecté scrupuleusement les gestes barrières et les règles de non regroupement, distanciation, etc… on n’en serait pas là. Quand bien même, la balance risques-bénéfices justifie-t-elle la coercition ? Et comment en vouloir à la jeunesse de vivre sa jeunesse? C’est déjà si dur de ne plus se toucher, se prendre dans les bras. Et quid des vaccinés qui ne respectent plus le port du masque et autre précaution ? J’entends que le refus de vaccination est égoïste. Pas moins ni davantage que celui de se vacciner pour sauver son activité économique – et c’est bien normal- ou sa paisibilité. A qui faire croire qu’il s’agit d’un geste altruiste ? Ce sont bien des choix personnels qui guident la plupart d’entre nous. En matière sanitaire, je comprends la peur de l’un et les actes (non agressifs) que cela engendre, y compris celui de se faire vacciner de son plein gré, mais je respecte tout autant celui qui n’en ressent pas le besoin ou qui n’a pas confiance. Ou simplement celui qui se donne le temps.

Je me ferai à cette idée en temps voulu – et probablement à mon corps défendant – mais, en attendant mon tour, je comprends que l’on ne parvienne pas (moralement, psychologiquement, socialement ou pour des raisons de santé) à se résoudre à jouer le jeu. Cela me choque nettement moins que les personnes aisées fraudant l’Ursaff ou la sécurité sociale et les richissimes adeptes de l’exil fiscal… et qui, piment sur le cheesecake, dispensent des leçons. 

Même si à mon grand regret ils n’abreuvent pas les services publics qui nous font tant défaut, je paie des impôts sans contestation, y compris parce que cette contribution va aux personnes qui ne peuvent le faire, et je ne les accuse pas de vivre à mes crochets. J’apporte mon concours au respect des lois, car elles sont les fondements de notre vie sociale, je ne hais point ceux qui ne le font pas. A l’inverse, j’aurais la tentation d’envoyer quelques hurluberlus faire un tour opérator des dictatures de ce monde pour les replacer dans le contexte mais je sais qu’ils sont, bien que bruyants, peu nombreux. Une majorité reconnaît les bienfaits de la démocratie et les largesses des sociétés occidentales, or ceci lui donne précisément le droit d’exprimer son désaccord et son inquiétude sans être honnie ou méprisée.

Je suis passée pour ma part à travers des étapes semblables à celles du deuil : l’incrédulité-déni, la colère et la tristesse. Pour cheminer vers l’acceptation, non sans douleur.

L’incrédulité en ce qu’on allait encore être infantilisés, pris entre les tenailles de la peur et de la culpabilité, plutôt que de déployer la mise en confiance et le respect : cela fait tristement penser aux carences éducatives (combien élèvent leurs enfants ou se disent enseignants en utilisant ces ressorts qui n’exigent pas de faire preuve de courage ni d’imagination?). Le déni quant à l’absence de prises de conscience – même morcelées – des véritables enjeux : ” voilà une formidable chance de modifier notre mode de vie, de consommation, d’alimentation, de commerce, mais également de regard sur l’autre et de solidarité, ai-je pensé, on ne va pas passer à côté ??” Si ?…

Vint alors la colère face aux divisions provoquées, aux incohérences imposées, à l’impréparation sanitaire malgré les révélations de la première vague, en particulier le système hospitalier agonisant et le système éducatif maltraité.

Grâce à une vie intérieure et affective favorable, et parce que j’ai déjà bien vécu, je peux m’offrir le « luxe » de me priver de restaurant, ciné et autres divertissements, je n’ai pas non plus de job alimentaire à perdre et je me contrefiche des centres commerciaux. Mais il ne m’est pas égal de devoir choisir entre le risque pris pour mon intégrité et la possibilité de rendre visite aux anciens à l’Ehpad ou de donner de mon temps aux personnes dans la précarité grâce à l’association auprès de laquelle je suis bénévole. Et je me suis fâchée du chantage exercé sur les personnels dont la mission est déjà harassante sans reconnaissance. Et qu’on impose aux mineurs le chantage d’une vie « normale » tandis que l’on ignore l’effet du messager ARN dans un corps en pleine croissance et mutation. Et que dire des millions injectés dans l’économie de contrôle, surveillance et sécurité qui ne seront pas dédiés ailleurs, tandis que l’on assiste, quasi impuissants, à une déferlante de précarité ?

Puis cette colère s’est muée en tristesse au regard de tous ces malmenés, ces décès évitables – notamment outremer- et les dégâts socio-économiques et psychologiques sur le point d’exploser.

Il me faut, à présent, parvenir à l’acceptation : bien que cette pandémie soit également génératrice de belles initiatives et d’idées géniales, l’individu n’est pas prêt à tout remettre en question (à commencer par lui-même) et le changement n’est pas mûr. Il y viendra, j’en suis convaincue, mais pas cette fois. 

Et c’est justement parce que l’humain est encore dans une sorte d’adulescence que le maniement des armes « peur et culpabilité » est une sombre erreur. Il aurait mieux valu faire et donner confiance, apporter des preuves de reconnaissance, des pistes de valorisation du changement et des outils pour prendre soin de soi à long terme (éducation, alimentation, environnement, modes de travail).

Je ne condamne pas tous les décideurs qui auront fait en fonction de leurs (faibles) capacités à agir face à l’inattendu brutal (bien que prévisible), mais je suis insatisfaite de la non prise en compte des faiblesses du système déjà identifiées. La saturation des personnes socialement épuisées par une économie meurtrière et l’injustice de la facture globale qui remplit toujours la besace des mêmes personnes, tout ceci me rend lasse.

Il me semble que je fais plus que ma part dans l’effort collectif ; je contribue modestement à l’accompagnement et au partage social et je pratique de nombreux gestes quotidiens de préservation de la planète. Je continue de respecter les gestes barrières, d’autant plus que j’ai pris le temps de mon propre corps (situation relativement confortable me permettant de ne pas courir -et faire courir- plus de risques qu’un vacciné grâce aux anticorps SARS-Cov 2 que mon sang héberge encore pacifiquement).

Et, parce que je me sens responsable de mes actes, je revendique le droit de m’interroger sans suspicion de complotisme, le droit de choisir mon vaccin et le moment de me l’inoculer. Mais, plus que tout cela, je revendique le droit de pouvoir prendre du temps sans être taxée d’inconsciente, de pouvoir en parler sans me faire agresser et de pouvoir parfois en sourire comme j’ai pu le faire face aux drames de ma vie. C’est cette liberté que je défends, celle qui ne nuit pas à la libre vaccination de celui qui l’a souhaitée (ou acceptée) pour atténuer sa peur ou pour signer le contrat qui lui était soumis, par défaut ou par conviction, choix que je respecte également. 

J’admets que la crainte de manquer d’air (au sens propre et figuré) fasse dire ou faire des choses disproportionnées et j’accepte les peurs mais je ne veux pas qu’elle me soient jetées à la figure, j’accepte les choix de vouloir revivre le monde d’avant (celui-là même qui nous a amenés là où on s’enlise aujourd’hui…) même si, moi, je n’aimais déjà plus ce monde-là.

Ce que je crois, face à l’inédit et en l’absence de recul, c’est que chacun fait comme il peut, c’est-à-dire de son mieux. Les choix personnels s’assimilent à ceux des jurés d’assises : malgré des débuts de preuve ou des faisceaux d’indices, ils relèvent de l’intime conviction. La mienne est que la paix commune a pour ennemis la peur et la culpabilité.